Dans ma newsletter #5, je vous ai laissé sur mon retour à la maison après une hospitalisation de quelques jours, car une des poches avait fissuré.
Et naïve comme je suis, je me dis que j’attendrais le week-end pour enfin faire cette valise de maternité1.
Je me suis couchée, heureuse d’être chez moi et positive pour la suite de la grossesse. Je pense que les deux derniers jours m’ont rassurée, l’équipe médicale également, et il n’y a pas de raisons que la suite se passe mal. La sage-femme, celle qui va venir tous les jours pour le monitoring, semble très sympathique. Je pense que j’ai même hâte de ces quelques semaines avant l’arrivée des enfants.
Il doit être 6h452 lorsque des douleurs me réveillent. J’ai mal dans le bas du dos et j’ai l’impression de devoir aller à la selle. A moitié endormie, je ne me dis pas “tiens ce sont les mêmes douleurs que j’avais à l’hosto, ce qu’on m’a appris être des contractions” 💡. Après être passée aux toilettes, je retourne me coucher. Pour me relever 5 minutes plus tard, en disant à Clément que j’ai mal dans le bas du dos.
C’est sûrement à ce moment-là que je réalise que ce sont de nouveau des contractions.
Mon premier réflexe est tout simplement de me mettre les fesses à l’air et de me coucher dans la baignoire (vide, car avec une fissure les baignades sont interdites). Le froid de la paroi contre mon dos me soulage. Clément arrive et je lui demande un Doliprane et un Spasfon, c’est ce que j’avais eu à l’hôpital, et les contractions avaient stoppé.
Franchement j’y crois que ça va fonctionner. Pendant 30 secondes.
Quelques minutes plus tôt, j’avais lancé une application pour minuter les contractions et elles se rapprochaient de plus en plus.
“Je crois qu’il faut qu’on retourne à l’hôpital.”
C’est ce que je dis alors que la douleur se fait plus présente, tout en restant supportable. C’est juste un pressentiment : je serais plus rassurée d’aller à la maternité.
Peut-être qu’il faudrait que Clément raconte sa version, car je n’ai plus trop en tête ses réactions. Mais je me souviens qu’il me semblait plutôt calme et posé. J’imagine que lui comme moi n’imaginions pas que j’allais accoucher bientôt.
On attrape quelques affaires, on reprend une serviette pour la poser sur mon siège, et le dossier de mon hospitalisation. La valise n’étant même pas ouverte, nous ne sommes pas vraiment chargés.
Il est 7h20 quand on part, et il faut une vingtaine de minutes pour rejoindre la maternité. Ce trajet m’a semblé durer une éternité. Je souffle, je geins parce que ça m’aide à supporter la douleur. Douleur qui me semble encore supportable.
Mais qu’est-ce que c’est looooooooong.
On arrive vers 7h45. Sauf que l’hôpital parisien n’a pas de parking visiteurs, et trouver une place dans Paris peut être long, surtout en semaine. Clément ma laisse à l’entrée de la maternité. Tel un cliché, je marche une main dans le dos vers l’entrée des Urgences de la maternité.
“Oh, Madame va accoucher !” j’entends à ma gauche. Des infirmières en pause clopes se relèvent et me rejoignent. C’est là que je comprends ce qui se passe, pas encore totalement, mais des professionnelles qui voient tous les jours des femmes sur le point d’accoucher, je crois que je peux leur faire confiance. Bon, peut-être qu’elles ont 2% de chance de se tromper aussi.
Elles prennent mes informations pour le dossier, me refont un bracelet (alors que je portais toujours celui de mon hospitalisation) et me font m’assoir pour prendre mes constantes. Contrairement à ma dernière visite dans ce service, je n’attends pas et on m’emmène en salle de naissance pour m’ausculter.
Je suis toujours seule, et j’ai oublié de préciser que mon téléphone n’a plus de batterie. Je ne sais pas si Clément a pu se garer.
Une sage-femme me demande comment ça va, je réponds que j’ai mal. Elle me dit alors qu’elle va regarder à combien mon col est ouvert.
“Vous êtes à neuf.”
C’est la douche froide.
NEUF. Mon col est dilaté à neuf centimètres, et la dilatation complète est dix. Je suis à un centimètre d’accoucher !
Je vais accoucher. Et je suis seule.
Je ne sais plus trop ce que me dit cette sage-femme, mais elle est très douce et me rassure. Mais je sens que l’agence se fait, on m’enlève ma montre, on me déshabille, on me passe sur un brancard. Tout va très vite. Et je crois que je n’ai même pas peur, je ne réalise pas. Je leur dis sûrement que mon mari n’est pas là, qu’il se gare… En revanche, j’ai peur qu’il loupe ça à cause du manque de places dans Paris. Et l’équipe me rassure qu’on guidera mon mari jusqu’au bloc dès qu’il arrivera.
La sage-femme m’explique comment ça va se passer, que l’équipe médicale se prépare pour le bloc et qu’on va me faire une rachi-péri qui est plus forte qu’une simple péridurale. Et surtout que ça fera effet tout de suite.
Nous arrivons au bloc, et je reconnais la sage-femme qui m’avait déjà prise en charge quelques jours plus tôt. Elle s’appelle Suzanne, je me rappelle encore sa gentillesse et ses caresses sur mon bras pendant qu’on me pose la réchi-péri. Elle me dit plein d’encouragement. Aujourd’hui encore, je lui en suis très reconnaissante.
Ça fait effet. Je ne sens plus mes jambes, et d’ailleurs je ne crois pas sentir les contractions non plus.
Et Clément arrive. Je crois qu’il m’embrasse et m’explique qu’ils lui ont demandé d’attendre dehors le temps de la pose de la rachi-péri. Il pose son téléphone à côté de moi, le Dictaphone en route.
J’ai dû faire une pause dans mon écriture, car il fallait que j’écoute l’audio des vingt minutes qui ont suivi. Et pourtant ça me fout la trouille de me replonger dans ce moment que j’ai vécu sans vraiment le vivre.
Je l’ai écouté, j’ai bien chouiné et je vais tenter de retranscrire ces vingt minutes. C’est compliqué car il y a beaucoup de brouhaha, pas mal de froissement de blouse, je parle tout bas (on dirait que je suis défoncée).
On me demande si la douleur a diminué un petit peu, et c’est le cas. Tout s’active autour de nous deux. Ils discutent entre eux, ils nous informent que l’équipe pédiatrique est déjà au courant.
Il est temps de pousser, donc je pousse en gémissant. Comme dans les films quoi. On me demande encore si je suis soulagée, que c’est super mais qu’il faut que je reste en apnée. Je me rends compte que je n’ai pas eu tous mes cours de préparation à l’accouchement et qu’en fait… Je ne sais pas comment on accouche. Mais on m’encourage.
“Pense aux bébés chats, ils sont à la maison et ils attendent. Ils vont être grands frères aujourd’hui.” Clément essaie de me motiver à sa façon.
Les gens rigolent autour de moi, l’ambiance est détendue et c’est rassurant. On me demande si je suis toujours sous antibiotiques, je ne sais pas ce que je réponds.
On me dit de garder ma respiration, et une sage-femme répète de tenir, tenir, tenir, tenir. Clément m’encourage toujours, il est juste à côté de moi. Je suis super essoufflée, c’est fou.
J’ai l’impression de faire du sport et qu’on m’encourage pour arriver jusqu’à la ligne d’arrivée, une ligne à laquelle je pourrais trouver mes deux bébés. Mais elle me paraît loin la ligne, donc je demande à Clément d’aller voir s’il voit quelque chose et il me dit qu’il voit des petits cheveux et qu’elle est juste là. Et que je dois continuer comme ça, que c’est très bien.
Une contraction revient et c’est reparti !
Je souffle, je reprends de l’air et je tiens encore, encore, encore, encore.
Les contractions s’enchaînent. Je pousse. Je souffle.
Quelque chose sonne et on me dit que c’est rien. Il y a un petit moment d’accalmie à ce moment-là. Je tente une blague en disant qu’on a bien fait de partir, Clément me répond que oui. Là, la sage-femme nous informe que le bebe fatigue mais que la tête n’est pas loin, et qu’on va essayer de la faire sortir à la prochaine poussée. Tout le monde m’encourage, et il y a des “génial”. Une poussée, puis une autre, et une troisième fois.
On essaie d’y retourner une fois.
J’ai plus de souffle. Et elle n’est toujours pas là. Clément accompagne mes respirations.
“Vous avez entendu Madame ? Il sera dehors à la prochaine, donc là il faut y aller. On prend une grande inspiration et on garde bien l’air, on le laisse pas sortir par le nez et la bouche.”
“C’est parti ! Allez, on tient, on tient, encore, encore, encore.”
Mais toujours pas, donc on y retourne. Et les encouragements sont les mêmes, on se croirait devant un match de foot.
On pousse de nouveau et…
“Ca y est, il est là. Vous avez réussi !”
“Mais il y en a encore un deuxième…” m’entends-je dire, désespérée par l’effort que je viens déjà de faire. Et on me rassure en me disant qu’on va m’aider pour la suite, que je vais pouvoir accueillir mon premier bébé et que je les laisserai faire pour le second.
S. est là. Elle fait des petits bruits de chat, on la rassure, je l’embrasse et ils la mettent dans un sac pour garder sa chaleur. Je remarque à quel point elle est petite, Clément qu’elle a plein de cheveux. L’équipe doit l’emmener pour les premiers soins. Clément me demande plusieurs fois si je veux qu’il l’accompagne ou qu’il reste, je ne réponds pas. Il répète la question plusieurs fois. Je ne sais pas, depuis que je sais que le premier bébé à naître est emmener à côté, je suis angoissée à l’idée de ne pas l’avoir avec moi mais là je ne veux pas non plus que Clément loupe la naissance de son deuxième enfant. Et je sens que S. est entre de bonnes mains.
On me félicite. Elle part. Et ils vont chercher son frère, alors qu’une femme a son bras dans mon utérus, je pousse pour aider.
Clément me dit que je suis toute belle et super.
La naissance d’A. est beaucoup plus rapide, mais il s’est retourné car il a désormais plein de place et a perdu ses repères. Elles nous disent qu’il a un bien un zizi et la salle s’amuse. On nous dit qu’il va être un peu sonné, mais que c’est normal et il arrive.
Et voilà, bravo !
Il a les yeux grands ouverts, intrigués par ce qui se passe autour de lui. Il me semble plus fripé que sa soeur, mais curieux et il sera en effet un bébé curieux de ce qui l’entoure. Ils lui mettent son petit bonnet et il va partir rejoindre sa soeur.
Clément demande ce qui se passe pour la suite, je crois que je réponds en rigolant "le placenta”. J’ai quand même envie d’être une bonne élève. Et quand ce sera fini au bloc, je retourne en salle de naissance pour qu’on me surveille pendant deux heures.
Je m’inquiète aussi que la sage-femme qui devait venir me voir à la maison n’est pas au courant, et je n’avais même plus de batterie pour la prévenir. Clément me demande où sont mes affaires et j’en ai aucune idée.
Une personne revient pour nous dire que nos enfants vont bien, que la soeur a un masque sur le nez pour lui apporter de l’oxygène mais qu’elle respire seule tout de même, et que son frère se débrouille encore mieux. On invite Clément à aller les voir.
L’enregistrement s’arrête là.
Je suis désormais seule avec beaucoup moins de monde dans le bloc.
Une fois les placentas sorti, je demande à en voir un. Je suis intriguée per cette chose. C’est à la fois beau et moche, on dirait en effet un dessin d’arbre, et ça a quelque chose de poétique. Mais ça ressemble aussi un steak pas cuit, et ça c’est répugnant. Et puis on me recoud car j’ai eu une légère déchirure, il ne faut que deux points.
On me ramène dans une salle de naissance. J’ai toujours la péridurale, je ne sens pas mes jambes. Les toucher m’amuse, c’est mou. Par contre mon ventre me semble déjà tout plat, et ça me rend un peu triste de le savoir vide.
D’ailleurs, une des premières choses que je dis à Clément est qu’il va falloir remettre un bébé dans ce ventre.
Clément fait des aller-retours entre la réanimation et la pièce où je suis, il me montre des photos. Ils sont beaux mes petits bébés de 1,7kg. J’appelle ma mère pour lui annoncer, je commence à envoyer des messages… De toute façon, je ne peux faire que ça.

Ils sont nés à 8h43 et 8h45, mais ce n’est que vers 14h que je les ai revus. La première photo avec mon fils contre moi est prise à 14h32, celle avec ma fille à 21h54 (mais peut-être ai-je pu la prendre avant, je ne sais plus).


Ils sont minuscules. Ils semblent si fragiles, j’ose à peine les caresser, demander à les prendre contre moi et pourtant j’en meurs d’envie. Je ne réalise pas trop que je suis leur maman. C’est tout confus dans ma tête.
Ils vont bien, mais je ne fais que pleurer. Le moindre bip des machines m’angoisse. Ils ont des petits patchs pour prendre leurs rythmes cardiaques, une sonde pour les nourrir. Mais l’équipe en néonat’ est patiente, bienveillante et nous aide à naviguer dans ce monde nouveau.
Bienvenue dans la parentalité de prématurés 🐣🐣
De souvenir, la chambre n’était pas complètement finie. Ma mère et ma soeur devaient me rendre visite et elles avaient maintenu leur séjour pendant que j’étais à l’hôpital pour aider avec ce qu’il restait à faire.
Les évènements remontent à presque deux ans maintenant, donc tout n’est plus très frais dans ma tête.
Pfiou, quelle aventure !